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CONTES
ENGLISH
"En écrivant ces textes, je me suis souvenu de mon enfance."

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CONTE 1 CONTE 2 CONTE 3

LE RAT

Il était une fois, dans l'infini pays des rêves, un royaume caché sous tous les autres. Il n'avait rien de singulier, sauf qu'il n'y avait que des rats.

Ce royaume ressemblait à notre monde. Il y avait des parents rats , des enfants rats, des villages et des villes de rats, des frontières entre les régions. Des rats naissaient, des rats mouraient. Il y avait des rats célèbres et des rats moins connus. Il y avait des rats fourbes, il y avait même des rats honnêtes. Il y avait des rats qui travaillaient et d'autres qui, pour une raison ou une autre, n'était pas en mesure de le faire.

Ce qui caractérisait ce monde des rats était sa devise : " Distingue toi comme tu le peux, mais distingue toi!"

Hors, parmi eux, il y avait un vieux rat paresseux et retors, qui toute sa vie avait cherché à se démarquer. Jamais, il n'avait pu trouver sa façon de respecter la devise.

Comme sa vie achevait, et qu'il ne lui restait que peu de temps; cela lui donna enfin une idée. " Si le temps est si précieux, pourquoi ne pas le chasser et l'attraper ? "

Il inventa le subterfuge d'une boîte à conserver les minutes. D'aspect rudimentaire, elle était construite en pâte cuite. Volontairement, il la fit même un peu brûler.

Dans tous les lieux publics, il placarda des affiches pour annoncer son invention. Ce qui ne manqua pas d'attirer l'attention de tous les présidents et rats importants.

Ils invitèrent l'inventeur pour une démonstration.

Le vieux rat se maquilla en se saupoudrant le poil du crâne d'un peu de farine blanchie. Retardant son arrivée, il courru un peu, juste assez pour s'essouffler. Puis, en se présentant à eux, il s'excusa.

- " Honorables rats, je vous demande de me pardonner. Mais j'ai rattrapé du temps qui, de la boîte que vous voyez, s'était évaporé."

Sans tarder, il alla au coeur du sujet. Il parla vite ayant planifié que cela pourrait étourdir l'assemblée. Convaincant, il leur fit croire que tous pourrait bénéficier du temps capturé.

- " Même votre mort pourrait être retardée! " clamait-il haut et fort. " Il ne suffit que de reprendre le temps que vous auriez déposé dans cette petite boîte en pâte brûlée. Malheureusement, celle-ci est fragile et le temps peut s'en échapper. Si elle était en or, votre avenir serait ainsi assuré. "

- Nous vous fournirons tout l'or que vous voudrez. Nous pourrons même construire une immense boîte, un bâtiment tout doré pour contenir le temps, si vous le demandez!...

Mais montrez nous les rudiments. " lancait un des rats dignitaires.

Le vieux rat leur demanda de se retourner vers le mur derrière eux. Ainsi, personne ne le vit s'essuyer sa tête enfarinée après avoir lancer sa boîte fragile qui se fracassait en mille éclats.

Le plus discret mais le plus observateur des notables remarqua, parmi l'amas sur le plancher, un minuscule oreiller rose.

- " Où est passé le temps ? " s'enquit un des nobles rats en se retournant. Puis, il ajouta " Ne me le dites pas, je le vois, vous avez rajeuni ! "

- " En effet, je le ressens! Le temps que j'avais économisé m'est en partie revenu le reste s'est échappé. La perte est causé par la qualité et la fragilité de la petite boîte." mentit le vieux rat.

- " Pourquoi donc ce petit coussin ? " firent remarquer quelques rats avisés. - " Le temps qui n'a rien à faire s'ennuit et s'endort. Pour l'attirer, il suffit de placer un oreiller confortable dans la boîte. Ainsi, plus le temps dort longtemps, plus il est frais et dispos quand on a besoin de lui. Pour mettre du temps dans la boîte, c'est simple. Il suffit de faire tout plus vite. C'est le temps qui n'est pas utilisé qui va se coucher."

Tous les rats n'avaient que des éloges pour l'inventeur.

Sans tarder, tout le royaume se mit à la tâche: nobles, travailleurs et chômeurs. Une gigantesque boîte en or, haute comme une montagne fut construite selon les plans du vieux rat. Il avait même réussi à convaincre les dirigeants du royaume d'y construire une grande loge pour qu'il puisse être hébergé. Son argument était simple: il surveillerait le temps, veillerait à ce qu'il ne s'enfuit pas, et il compterait les minutes que la boîte capterait.

Pour la construction, le royaume pris son temps. Le temps ne pouvant être conservé nulle part ailleurs que dans une boîte inventée par le vieux rat, il ne servait à rien de se presser.

Le jour de l'inauguration du capteur de temps, le vieux rat s'installa bien confortablement dans ses nouveaux appartements tout en or. Ils ne faisait que se prélasser, manger et roupiller. Trop à l'aise dans cette forteresse dorée, il ne s'intéressa plus qu'à lui même et se délectait du souvenir par lequel il avait berné tout le monde.

Partout ailleurs, dans le royaume, la vitesse était obligatoire. Tout devait aller toujours plus vite, de plus en plus vite, pour capturer le plus de temps possible.

Une nouvelle maladie apparut dans le royaume: l'absence de temps libre causé par la vitesse affolante. Les rats ne se reposaient plus, ils ne dormaient plus. Ils voulaient économiser du temps. Tout devait être plus rapide, plus expéditif. Le travail, les décisions, les jeux; tout y passaient. Tout devint si vite, que plus aucun rat ne prenait le temps de vivre. Ils ne savaient plus faire la distinction entre le bonheur et le malheur, ils n'avaient plus le temps d'en faire la différence.

Tous les rats du royaume devinrent tellement tendus et nerveux qu'ils commencèrent à tuer ceux qui n'allaient pas assez vite. "Cela ne ferait que plus de temps pour les rats qui restent ! " se disaient-ils. Et ces derniers, firent de même entre eux.

Le dernier, un ambitieux qui n'avait cessé d'aller plus vite, fut emporté par l'épuisement.

Un jour que le vieux rat manqua de provisions, il décida de sortir de son antre feutré. Il ne vit que mort et désolation et compris son implication dans la catastrophe.

Il aurait voulu demander pardon. Il avait tout son temps.

Il ne le pouvait plus, le temps des autres rats était achevé.


Pierre d'Asquitaine

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